Page:Anatole France - M. Leconte de Lisle à l’Académie française, paru dans Le Temps, 27 mars 1887.djvu/15

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Pourtant, j’en suis bien convaincu, M. Leconte de Lisle, sous toutes les formes qu’il évoque avec une prodigieuse puissance, ne peint que lui seul. L’historien d’Israël, le nouveau traducteur de la Bible, M. E. Ledrain, a dit un jour dans la Revue positive que M. Renan faisait son portrait dans toutes ses histoires et qu’il s’était représenté notamment, dans l’Antéchrist, sous les traits de Néron. M. Renan n’en reste pas moins le plus sage des hommes. Il faut entendre la proposition de M. Ledrain dans un sens tout à fait philosophique et esthétique, En ce sens, je répète que M. Leconte de Lisle s’est montré dans toutes ses figures et surtout dans son Qain. Et qu’est-ce en effet le Qain des Poèmes barbares, sinon un homme farouche, solitaire, timide, irrité, faible, parfois délicieusement attendri, mais cachant ses larmes sous un sourcil orgueilleux, un esprit violent, qui se représente la vie et les hommes avec une ample simplicité, qui raisonne avec une logique étroite mais puissante, un philosophe pessimiste pour qui Dieu est le principe du mal puisqu’il est le principe de la vie et que la vie est tout entière mauvaise, un artiste dédaigneux des nuances, sonore et abondant en images éclatantes, un grand poète ?