Page:Anatole France - Nos enfants.djvu/10

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Elle a vu de loin, sur le seuil de pierre, sa mère-grand qui souriait de sa bouche édentée et qui ouvrait, pour recevoir sa petite-fille, ses bras secs et noueux comme des sarments. Fanchon se réjouit dans son cœur de passer une journée entière chez sa grand’maman. Et la grand’maman, qui, n’ayant plus ni soucis ni soins, vit comme un grillon à la chaleur du foyer, se réjouit aussi dans son cœur de voir la fille de son fils, image de sa jeunesse.

Elles ont beaucoup de choses à se dire, car l’une revient de ce voyage de la vie que l’autre va faire.

« Tu grandis tous les jours, dit la grand’mère à Fanchon, et moi, je me fais tous les jours plus petite ; et voici que je n’ai plus guère besoin de me baisser pour que mes lèvres touchent ton front. Qu’importe mon grand âge, puisque j’ai retrouvé les roses de ma jeunesse sur tes joues, ma Fanchon ! »

Mais Fanchon se fait expliquer pour la centième fois, avec un plaisir tout nouveau, les curiosités de la maisonnette : les fleurs de papier qui brillent sous un globe de verre, les images peintes où nos généraux en bel uniforme culbutent les ennemis, les tasses dorées dont quelques-unes ont perdu leur anse tandis que d’autres ont gardé la leur, et le fusil du grand-père, qui demeure suspendu, au-dessus de la cheminée, à la cheville où il l’attacha lui-même pour la dernière fois, il y a trente ans.

Mais le temps passe et voici l’heure de préparer le dîner de midi. La mère-grand ranime le feu de bois qui sommeille ; puis elle casse les œufs dans la tuile