Page:Anatole France - Nos enfants.djvu/13

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noire. Fanchon regarde avec intérêt l’omelette au lard qui se dore et chante à la flamme. Sa grand-maman sait mieux que personne faire des omelettes au lard et conter des histoires. Fanchon, assise sur la bancelle, le menton à la hauteur de la table, mange l’omelette qui fume et boit le cidre qui pétille. Cependant la grand’mère prend, par habitude, son repas debout à l’angle du foyer. Elle tient son couteau dans la main droite et elle a, de l’autre main, son fricot sur une croûte de pain. Quand elles ont fini de manger toutes deux :

« Grand’mère, dit Fanchon, conte-moi l’Oiseau bleu. »

Et la grand’mère dit à Fanchon comment, par la volonté d’une méchante fée, un beau prince fut changé en un oiseau couleur du temps, et la douleur que ressentit la princesse quand elle apprit ce changement et lorsqu’elle vit son ami voler tout sanglant vers la fenêtre de la tour où elle était renfermée.

Fanchon reste pensive.

« Grand’mère, dit-elle, est-ce qu’il y a longtemps que l’Oiseau bleu vola vers la tour où la princesse était renfermée ? »

La grand’mère répond qu’il y a beau jour de cela, et que c’était du temps que les bêtes parlaient.

« Tu étais jeune alors ? dit Fanchon.

— Je n’étais pas encore née », dit la mère-grand.

Et Fanchon lui dit :

« Grand’mère, il y avait donc déjà des choses quand tu n’étais pas née ? »

Et lorsqu’elle a fini de parler, la mère-grand donne à Fanchon une pomme avec du pain et lui dit :

« Va, mignonne, va jouer et goûter dans le clos. »

Et Fanchon va dans le clos, où il y a des arbres, de l’herbe, des fleurs et des oiseaux.