Page:Anatole France - Pierre Nozière.djvu/118

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personne ; ce sont de petits sauvages ; ils ignorent tout. Et comment voulez-vous qu’ils apprennent quelque chose en changeant de pension tous les six mois ? Henri, l’aîné, a onze ans passés. Il ne sait pas encore un mot de catéchisme. Je ne sais vraiment pas comment nous lui ferons faire sa première communion… Votre bras, Monsieur. »

Le dîner était abondant. Une jeune paysanne, attentivement surveillée par Mme Planchonnet, apportait des plats et des plats encore : tourtes, rôtis, pâtés, fricassées et d’énormes volailles que notre hôte, sa serviette sous le menton, la fourchette à trois dents d’une main, et de l’autre le couteau à manche en pied de biche, faisait placer devant lui, en montrant toutes ses dents et en roulant des yeux terribles au milieu des poils de son visage. Les coudes arrondis, il découpait avec facilité les chairs blanches ou noires, servait lui-même largement ses petits, sa femme et son convive, et disait, avec un rire affreux, des choses innocentes.

Mais c’était en versant à boire qu’il montrait toute sa magnificence d’ogre bon enfant. De ses énormes bras, il tirait par le goulot, sans se baisser, quelqu’une des bouteilles amassées à