Page:Anatole France - Pierre Nozière.djvu/130

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enfants qui se battaient dans la cour. Avec quelle éloquence il décrivait ses futurs tableaux, qui représenteraient la Marche de l’Humanité, le Génie des religions, le Progrès de la démocratie et la Paix universelle. Avec quelle conviction il annonçait que son œuvre était de faire la synthèse de la philosophie par la peinture !

Cependant Jean Meusnier, à son chevalet devant sa petite toile, poussait avec l’obstination lente d’un paysan le dessin d’un arbre farouche, et gardait un silence végétal.

Puis, tout à coup, levant les yeux vers le châssis vitré d’où tombait une lumière crue, il grognait :

« Ce sacré bahut… qui me gêne… comment l’appelez-vous ? »

Nous cherchions et nous ne trouvions pas. Enfin Jean Meusnier faisait un grand effort de mémoire et s’écriait :

« Eh bien ! le soleil, quoi ! Vous comprenez, il tape trop dur pour l’instant. »

Parfois, nous dînions tous trois à la crémerie, dans la petite salle ornée d’une grande toile de Jean Meusnier. C’était une composition féroce, qu’il avait peinte en riant intérieurement, et qui représentait des arbres odieux et ridicules.