Page:Anatole France - Pierre Nozière.djvu/133

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bon Jacobus Drubroquens. On lui eût donné plus que son âge, à voir les rides de ses joues, mais ses deux yeux bleus gardaient une jeunesse invincible.

Il répondit à mon salut sans savoir qui j’étais et sans se soucier de le savoir, ayant pris l’habitude, dans les crémeries, d’une sorte de fraternité anonyme qui s’étendait à tous ses interlocuteurs.

« Vous savez, mon tableau, me dit-il, mon grand tableau ! Ils veulent que je l’exécute réduit et corrigé.

— Et qui veut cela, maître Jacobus ?

— Eux ! la boutique, le gouvernement, les ministres, le Conseil municipal, quoi ! Est-ce que je sais donc ? Est-ce que je connais ces épiciers-là, moi ? Je néglige les êtres contingents et je méprise tout ce qui n’est pas réalisé dans l’absolu. Oui, ils veulent dénaturer ma grande idée. Mais soyez tranquille, je ne transigerai pas. »

Ainsi donc l’Empire était tombé, la République durait depuis vingt-cinq ans, et Jacobus Dubroquens n’avait pas encore pu faire son grand tableau.

Au reste, son contentement était parfait. Il