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confiai pas même à mon père, que j’interrogeais pourtant à toute minute sur l’origine, les causes et les fins des choses tant visibles qu’invisibles. Mais sur l’identification du Paradis terrestre au Jardin des Plantes, j’étais muet.

Il y avait plusieurs raisons à mon silence. D’abord, à cinq ans, on éprouve de grandes difficultés à expliquer certaines choses. C’est la faute des grandes personnes, qui comprennent très mal ce que veulent dire les petits enfants. Puis j’étais content de posséder seul la vérité. J’en prenais avantage sur le monde. J’avais aussi le sentiment que si j’en disais quelque chose, on se moquerait de moi, on rirait, et que ma belle idée en serait détruite, ce dont j’eusse été très fâché. Disons tout, je sentais, d’instinct, qu’elle était fragile. Et peut-être même que, au fond de l’âme et dans le secret de ma conscience obscure, je la jugeais hardie, téméraire, fallacieuse et coupable. Cela est très complexe. Mais on ne saurait imaginer toutes les complications de la pensée dans une tête de cinq ans.

Nos promenades au Jardin des Plantes, c’est le dernier souvenir que j’aie gardé de ma bonne Nanette qui était si vieille quand j’étais si jeune,