Page:Anatole France - Pierre Nozière.djvu/211

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épient le poisson qu’autour d’eux des rabatteurs effrayent en frappant l’eau à grands coups de gaule. Ces pêcheurs sont armés d’une baguette pointue dont ils piquent adroitement leur proie. Chaque fois qu’ils lèvent hors de l’eau leur arme flexible, on voit briller à la pointe une sole transpercée.

Un vent salé fait voltiger les papiers sur ma table et m’apporte une âcre odeur de marée. Des troupes innombrables de canards nagent sur le bord du chenal et jettent à plein bec dans l’air leur coin coin satisfait. Leurs battements d’ailes, leurs plongeons dans la vase, leur dandinement quand ils vont de compagnie sur le sable, tout dit qu’ils sont contents. Un d’eux repose à l’écart, la tête sous l’aile. Il est heureux. À la vérité, on le mangera un de ces jours. Mais il faut bien finir ; la vie est enfermée dans le temps. Et puis le malheur n’est pas d’être mangé. Le malheur, c’est de savoir qu’on sera mangé ; et il ne s’en doute pas. Nous serons tous dévorés ; nous le savons, nous ; la sagesse est de l’oublier.

Suivons la digue, pendant que la mer, qui a déjà couvert les bancs de Cayeux et du Hourdel, entre dans la baie par de rapides courants