Page:Anatole France - Pierre Nozière.djvu/230

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fenêtre un ancien du pays. Il ressemble au père Corot. Il est propre ; il porte un petit anneau d’or à l’oreille. Le sel de la mer a tanné sa peau ; le poids du chalut a courbé son échine.

À sa vue, je ne puis me défendre d’un souvenir. Je me répète à moi-même l’épitaphe qu’une poétesse grecque fit, au temps des Muses, pour un pauvre pêcheur de Lesbos. Elle est composée de peu de mots. Le style austère et pur des vers en atteste l’antique origine. Je traduis littéralement ce distique funéraire :


« Ici est la tombe du pêcheur Pelagon. On y a gravé une nasse et un filet, monuments d’une dure vie. »


Ainsi parle dans sa pitié sereine cette Muse grecque, qui ne pleure pas, parce que les larmes souilleraient sa beauté. Le vieux Pelagon jetait ses filets au pied des blancs promontoires. Il avait vu, dans ses rudes travaux, le vieillard des mers, le terrible Protée s’élever comme un nuage du sein des vagues. Il avait peut-être entendu les sirènes chanter dans la mer bleue. La Manche n’a point de sirènes sur ses sables dangereux. Le blanc Protée n’erre point au pied des falaises à pic. Mais le vieux loup de