Page:Anatole France - Pierre Nozière.djvu/232

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Quand le père et la mère vinrent s’établir à Saint-Valery, de neuf enfants qu’ils avaient eus, il ne leur restait que le fils qui est mort hier et un aîné appelé sous les drapeaux. La mère, entêtée dans le malheur et donnant à l’avenir la figure sombre du passé, répétait tous les jours avec épouvante :

« Je sais que celui-ci se noiera comme les autres. »

De tels accidents sont rares à Saint-Valery. La baie et les bancs de sable prennent par an à peine une ou deux victimes. Pourtant la pauvre mère pleurait tous les jours son fils par avance.

Vendredi, à quatre heures, il partit seul en barque, bien que ses parents le lui eussent défendu. Il se noya par un clair soleil, dans une mer calme, en vue de la maison où il avait été nourri et où l’attendait sa mère. La marée ramena à la côte sa barque et ses vêtements. Pendant huit heures, ses parents restèrent les yeux fixés sur cette eau tranquille qui recouvrait le cadavre de leur fils. Enfin, au milieu de la nuit, la mer s’étant retirée, quinze ou vingt pêcheurs s’en allèrent avec des lanternes, par les sables, chercher le corps. Ils le trouvèrent