Page:Anatole France - Pierre Nozière.djvu/284

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chanoine Trévoux, trente ans après sa belle mort, entre, coiffé de son tricorne, sa tabatière à la main, dans mon âme surprise. Qu’il y soit le bienvenu ! Il était d’humeur heureuse et douce, ses joues brillaient d’un vermillon si pur qu’on le croyait pétri par un de ces petits anges joufflus qui flottaient dans le chœur de l’église, au-dessus de sa stalle canonicale. Il avait des goûts les plus paisibles, et, comme les longs voyages dans la lande et sur la grève ne convenaient point à sa vaste corpulence, c’est sur le quai Voltaire, dans les boîtes des bouquinistes, qu’il cherchait ses saints bretons. Il allait du pont Notre-Dame au pont Royal tous les jours que Dieu faisait, pourvu que Dieu les fît assez beaux. Car le bon chanoine n’aimait ni le brouillard ni la pluie, et, de toutes les œuvres divines, il était enclin à préférer celles où Dieu a montré le plus manifestement sa bonté. Pourtant, un jour qu’il allait, cherchant, selon sa coutume, quelque saint breton oublié du siècle ingrat, il fut assailli par un soudain orage, près de la Samaritaine, et secoué, selon ses propres expressions, par une rafale effroyable ; même il y perdit son riflard que le vent emporta dans la Seine. Ce fut une des plus terribles épreuves