Page:Anatole France - Pierre Nozière.djvu/288

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l’entrevue de la reine et du saint fut secrète ? Vous me direz que Collédoc lui représenta la laideur et la difformité des péchés charnels. Mais cela ne suffit pas, monsieur Trévoux. Vous n’imaginez pas quelle situation c’est que de se mettre entre une femme et son amour ! On est renversé, foulé aux pieds, broyé. Je vous entends : vous ajoutez que saint Collédoc a sûrement menacé Genièvre de la colère divine et de la damnation éternelle, qu’il lui a montré l’enfer béant. Cela ne suffit pas encore, monsieur Trévoux. Une femme amoureuse ne craint pas l’enfer ; le paradis ne lui fait point envie, monsieur Trévoux. En vérité, je voudrais bien savoir ce que saint Collédoc de Plogoff a dit à la reine Genièvre pour la séparer de Lancelot du Lac qu’elle aimait et qui l’aimait. Songez que, pour produire un tel effet, il fallait des paroles plus puissantes que ces runes, connues seulement des vieux Scandinaves, par lesquelles on pouvait soulever l’Océan et réduire la terre en poudre ; car l’amour, monsieur Trévoux, est plus fort que la mort. Il est pourtant vrai que la douce reine écouta l’ermite et qu’elle entra dans un monastère. Et l’on en a fait des complaintes en vers bretons.