Page:Anatole France - Pierre Nozière.djvu/30

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que la fièvre, la misère, la haine et le dégoût incurable du travail et de la pauvreté.

Mme Mathias l’écoutait, les mains jointes sur son tablier, et elle lui répondait en hochant la tête :

« Dieu n’est pas toujours juste ! »

Et nous nous en allions, elle et moi, troublés et pensifs, vers les Champs-Élysées. L’Océan Pacifique, la Californie, les Espagnols, les Chinois, les Malais, les placers, les montagnes d’or et les rivières d’or, tout cela évidemment ne pouvait pas tenir dans le monde tel que je le concevais, et les discours du lunetier m’enseignaient que la terre ne finit point, comme je le croyais, à la place Saint-Sulpice et au pont d’Iéna.

M. Hamoche m’ouvrait l’esprit, et je ne pouvais voir sa mince figure, emphatique et fiévreuse, sans ressentir le frisson de l’inconnu. Il m’enseignait que la terre est grande, grande à s’y perdre, et couverte de choses vagues et terribles. Près de lui, je sentais aussi que la vie n’est pas un jeu et qu’on y souffre réellement. Et cela surtout me jetait dans des étonnements profonds. Car enfin, je voyais bien que M. Hamoche était malheureux.