Page:Anatole France - Pierre Nozière.djvu/302

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me laisse point non pleuré et non enseveli ; mais brûle-moi avec mes armes, et élève-moi un tertre au bord de la blanche mer, et plante sur ce tertre la rame avec laquelle, vivant, je ramais parmi mes compagnons. »

Telle est la plainte qu’exhale aux pieds d’Ulysse l’ombre d’Elpénor. Tant qu’il n’est point enseveli, Elpénor, qui n’a plus de place sur la terre, n’a pas encore de place chez Hadès. Il erre lamentablement entre les vivants et les morts. C’est peut-être pourquoi il parle sans avoir bu le sang. Mais je crois plutôt à une interpolation. Cette Nékyia est rapiécée comme une tapisserie de l’histoire d’Alexandre, pendue sur le pignon d’une maison de Bruges, aux jours de fête, pendant quatre cents ans. Elle est ainsi très plaisante et très vénérable.

La première ombre que le héros laisse approcher de la fosse, pour qu’elle boive le sang et y retrouve la force de sentir et de parler, est le devin Tirésias qui, aussitôt qu’il a bu, récite une prédiction dont le commencement a trait aux voyages du héros, mais dont la dernière partie, sans doute tirée de quelque chanson très antique, se rapporte à des traditions bizarres et puériles, tout à fait étrangères à l’Odyssée et