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IDYLLES ET LÉGENDES

Nous redonnions Éden à la famille humaine !
Éden, sous nos baisers, refleurissait plus cher !
Nous avions rétabli la gloire de la chair !
Mais Dieu !… Réjouis-toi, Caïn, dans ta semence :
Entre la femme et Dieu la lutte recommence…
Sur la terre ébranlée où tendent mes genoux
Entends-tu les démons captifs rire de nous ?
Quelle effroyable nuit roule de cime en cime ! »

Les eaux avaient rompu les sources de l’abîme ;
Les antiques granits, de leurs flancs entr’ouverts,
Lançaient des gerbes d’eau, de fumée et d’éclairs ;
Et bientôt, dans l’horreur des ténèbres compactes,
Le ciel du Dieu jaloux ouvrit ses cataractes.
Sur les plaines où sont les tentes des pasteurs,
Sur les sombres forêts et les pins des hauteurs,
Sur les grandes cités aux enceintes de brique
Où l’homme rend hommage aux Démons et fabrique,
Près des fleuves fangeux, dans de noirs ateliers,
Les étoffes de lin, les anneaux, les colliers,
Les grands couteaux de bronze et les flèches de pierre,
Où les fils de Caïn, race maudite et fière,
Lisent au ciel changeant sur le faîte des tours,
L’eau, par nappes, tomba durant quarante jours,
Et le vent souffla tel que des brisants humides
Heurtaient les sept degrés des hautes pyramides.