Page:Anatole France - Rabelais, Calmann-Lévy, 1928.djvu/104

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pas. Il s’amuse. Il joue avec les mots comme les enfants avec les cailloux ; il en fait des tas. À lui la richesse, l’abondance, la joie puérile et sonore, la force immense qui s’ignore. Une fine élégance, la mesure et l’ordre appartiennent à son modèle. Il est rapide, sobre, économe. Il paraît sec quand la traduction lui a ôté l’harmonie de son langage natif. Mais on le sent poli comme l’ongle. S’il en était autrement, les Grecs ne seraient point les Grecs.

C’est une des preuves les plus inattendues, les plus paradoxales et pourtant les plus fortes et les plus certaines du génie de Rabelais que, ayant tant connu, pratiqué, imité Lucien, il soit toujours resté si éloigné de son modèle de prédilection. Il prenait de toutes mains ; son temps l’y portait. Mais, à son insu, il transformait tout ce qu’il touchait.

Le roi Anarche, dans ce deuxième livre, a à peu près le sort que trouve dans le premier livre le roi Picrochole. Panurge, ayant fait prisonnier ce malheureux Anarche, le marie avec une vieille lanternière. Pantagruel leur donne une petite loge auprès de la rue Basse et un mortier de pierre à piler la sauce. Anarche devint le plus gentil crieur de sauce verte qui fût jamais vu en Utopie.

Après la capture d’Anarche, de tous les peuples d’Utopie, les Amyrodes seuls résistaient encore. Pantagruel à la tête de son armée alla les réduire.