Page:Anatole France - Rabelais, Calmann-Lévy, 1928.djvu/181

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j’en aurais bien cinq, voire six pour telle somme de deniers.

— Lourdaud ! sot que tu es ! s’écrie Dindenault, qui était mal embouché, mais fort savant, le moindre de ces moutons vaut quatre fois plus que le meilleur de ceux que jadis les Colchidiens vendaient un talent d’or la pièce.

— Benoît monsieur, dit Panurge, vous vous échauffez trop. Voici votre argent.

Ayant payé le marchand, il choisit dans le troupeau un beau et grand mouton, et l’emporta criant et bêlant. Cependant tous les autres bêlaient, regardant où l’on menait leur compagnon.

Dindenault disait :

— Oh ! qu’il a bien su choisir, le chaland ! Il s’y entend !

Soudain Panurge, sans mot dire, jette son mouton, criant et bêlant, dans la mer. Tous les autres moutons, criant et bêlant, commencèrent à se jeter après lui par-dessus bord. C’était à qui sauterait le premier. Il n’était pas possible de les retenir. Vous connaissez le naturel du mouton. C’est de suivre celui qui va devant, quelque part qu’il aille. Aussi Aristote le dit-il le plus sot et inepte animal du monde.

Le marchand, tout effrayé de voir ses moutons se noyer et périr devant ses yeux, s’efforçait de les empêcher et retenir de toutes ses forces. Mais c’était en vain. Finalement, il en prit un grand