Page:Anatole France - Rabelais, Calmann-Lévy, 1928.djvu/182

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et fort par la toison, sur le tillac du navire, croyant ainsi le retenir et sauver le reste conséquemment. Mais le mouton fut si puissant qu’il emporta en mer avec soi le marchand… Le navire vidé du marchand et des moutons :

— Reste-t-il ici, demanda Panurge, aucune âme moutonnière ? Où sont ceux de Thibault l’Aignelet ? Et ceux de Regnault Belin, qui dorment quand les autres paissent ? Je n’en sais rien. C’est un tour de vieille guerre. Que t’en semble, Frère Jean ?

— Tout bien de vous, répondit Frère Jean des Entommeures. Je n’y ai rien trouvé mauvais, sinon que vous deviez réserver le payement et garder l’argent en bourse.

— Vertu Dieu, s’écria Panurge, j’ai eu du passetemps pour plus de cinquante mille francs. Retirons-nous ; le vent est propice. Frère Jean, écoute ici. Jamais homme ne me fit plaisir sans récompense, ou reconnaissance pour le moins. Je ne suis point ingrat, ne le fus, ne le serai. Jamais homme ne me fit déplaisir sans repentance en ce monde ou en l’autre.

Tel est le plus fameux épisode du quatrième livre. Celui des moutons de Panurge, qui seraient mieux nommés les moutons de Dindenault. L’invention n’en appartient pas à Rabelais. Il a pris toute cette histoire à un moine italien, Théophile Folengo, qui le conta, en vers macaroniques, avec beaucoup d’esprit. La Fontaine la prit à son