Page:Anatole France - Rabelais, Calmann-Lévy, 1928.djvu/254

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une époque d’évocations, de restitutions, de reconstructions, à une époque où Michelet a fait de l’Histoire une résurrection ; comme enfin tous, tant que nous sommes, nous ne cherchons, nous ne voyons que nous dans autrui ; comme nous ne pouvons nous défendre de prêter nos sentiments aux hommes d’autrefois, la tendance générale des grands et des petits critiques de 1830 et de 1850 fut de romantiser l’auteur du Pantagruel et de l’incliner, sinon à la mélancolie (c’était trop évidemment impossible), du moins à la gravité, à la profondeur méditative, et, pour peu qu’on fût libéral et libre penseur, de le tirer à une philosophie indépendante, qui n’était ni de son esprit ni de son temps. Cela est sensible dans Michelet, dans Henri Martin, dans Eugène Noël. Sainte-Beuve, avec sa finesse accoutumée, sut redresser ce travers et rendre au géant du seizième siècle son indépendance et sa libre humeur.

Lamartine a dit beaucoup de mal de Rabelais. Victor Hugo en a dit beaucoup de bien. Ils ne l’avaient lu ni l’un ni l’autre, mais ils en avaient chacun une sorte d’intuition. Lamartine le devinait tout différent de lui, d’un génie tout opposé et contraire au sien. Victor Hugo s’imaginait, au contraire, qu’il y avait entre le créateur de Gargantua et celui de Quasimodo une parenté, une ressemblance. De là l’origine des jugements qu’ils portèrent. Chacun en parlant de Rabelais ne songeait qu’à lui-même. Guizot consacra, nous l’avons