Page:Anatole France - Thaïs.djvu/291

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fais éclater mes os, tu ne m’ôteras pas le souvenir qui me parfume et me rafraîchit par les siècles des siècles !… Thaïs va mourir ! Dieu ridicule, si tu savais comme je me moque de ton enfer ! Thaïs va mourir et elle ne sera jamais à moi, jamais, jamais ! »

Et tandis que la barque suivait le courant rapide, il restait des journées entières couché sur le ventre, répétant :

— Jamais ! jamais ! jamais !

Puis, à l’idée qu’elle s’était donnée et que ce n’était pas à lui, qu’elle avait répandu sur le monde des flots d’amour et qu’il n’y avait pas trempé ses lèvres, il se dressait debout, farouche, et hurlait de douleur. Il se déchirait la poitrine avec ses ongles et mordait la chair de ses bras. Il songeait :

— Si je pouvais tuer tous ceux qu’elle a aimés.

L’idée de ces meurtres l’emplissait d’une fureur délicieuse. Il méditait d’égorger Nicias lentement, à loisir, en le regardant jusqu’au fond des yeux. Puis sa fureur tombait tout à coup. Il pleurait, il sanglotait. Il devenait faible et doux. Une tendresse inconnue amol-