Page:Anatole France - Vie de Jeanne d’Arc, 1908, tome 1.djvu/75

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  Chacun songeait d’abord à soi. Quiconque avait terre se devait à sa terre ; son ennemi, c’était son voisin. Le bourgeois ne connaissait que sa ville. Le paysan changeait de maître sans le savoir. Les trois états du royaume n’étaient pas assez unis pour former, au sens moderne du mot, un État.

  Peu à peu, le pouvoir royal réunit les Français ; cette réunion se fit plus étroite à mesure que la royauté se faisait plus puissante. Au XVIe et au XVIIe siècle, cette envie de penser et d’agir en commun qui fait les grands peuples devint chez nous très ardente, tout au moins dans les familles qui donnaient des officiers à la Couronne, et elle se communiqua même aux gens d’un moindre état. Rabelais fait figurer François Villon et le roi d’Angleterre dans une historiette si enflée de gloriole militaire qu’un grenadier de Napoléon aurait pu la conter devant un feu de bivouac, au style près[1]. Dans la préface du poème que nous citions tout à l’heure, Chapelain parle des moments où « la patrie, qui est une mère commune, a besoin de tous ses enfants ». Le vieux poète s’exprime déjà comme l’auteur de la Marseillaise[2].

  On ne peut nier que le sentiment de la patrie existât sous l’Ancien Régime. Ce que la Révolution y ajouta

  1. Pantagruel, 1. IV, ch. LXVII.
  2. La Pucelle, préface.