Page:Anatole France - Vie de Jeanne d’Arc, 1908, tome 1.djvu/85

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  Ce n’est pas par affectation de style ni par goût artiste que j’ai gardé le plus que j’ai pu le ton de l’époque et préféré les formes archaïques de la langue toutes les fois que j’ai cru qu’elles seraient intelligibles ; c’est parce qu’on change les idées en changeant les mots et qu’on ne peut substituer aux termes anciens des termes modernes sans altérer les sentiments ou les caractères.

  J’ai tâché de garder un ton simple et familier. On écrit trop souvent l’histoire d’un ton noble qui la rend ennuyeuse et fausse. S’imagine-t-on que les faits historiques sortent du train ordinaire des choses et de la mesure commune de l’humanité ?

  Une tentation terrible pour l’historien d’une telle histoire, c’est de se jeter dans la bataille. Il n’y a guère de moderne récit de ces vieux assauts ou l’on ne voie l’auteur, ecclésiastique ou professeur, s’élancer, la plume à l’oreille, sous les flèches anglaises, au côté de la Pucelle. Je crois qu’au risque de ne point montrer toute la beauté de son cœur, il vaut mieux ne pas paraître dans les affaires qu’on raconte.

  J’ai écrit cette histoire avec un zèle ardent et tranquille ; j’ai cherché la vérité sans mollesse, je l’ai rencontrée sans peur. Alors même qu’elle prenait un visage étrange, je ne me suis pas détourné d’elle. On me reprochera mon audace jusqu’à ce qu’on me reproche ma timidité.