Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 2, Hachette, 1893.djvu/123

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provinciale, comme dans les chancelleries pétersbourgeoises, et les effets en sont identiques. Partout il encourage l’arbitraire chez les chefs, le servilisme chez les subordonnés, dont le traitement se trouve dépendre de la bonne volonté des supérieurs. Aussi l’humilité chez les premiers, l’arrogance chez les derniers, sont-elles des traits habituels de la bureaucratie impériale. L’extrême dépendance où, sous prétexte de discipline, les inférieurs se trouvent maintenus vis-à-vis de leurs chefs hiérarchiques, est une autre raison des nombreux abus de pouvoir et de la trop fréquente improbité de l’administration.

Les rapines administratives ont plus d’une fois attiré l’attention et les colères du gouvernement, sans que jamais il ait su mettre à leurs débordements une digue effective. En 1880 et 1881, sous le ministère du général Loris Mélikof, on a procédé, dans différents centres provinciaux, à Kazan et à Kief notamment, à une enquête administrative, confiée à quatre sénateurs d’une intégrité reconnue, car il est encore des hommes qui savent se préserver de la contagion générale. Cette revision sénatoriale, à laquelle le gouvernement semble s’être repenti d’avoir donné tant de publicité, a révélé des désordres que n’osait même pas soupçonner la défiance publique. Durant quelques semaines la presse a pu librement stigmatiser l’arbitraire, l’avidité, parfois même la cruauté de quelques pachas de province. L’urgence d’une refonte de l’administration est devenue plus évidente que jamais, et en 1881 Alexandre III a chargé une commission de hauts fonctionnaires d’en formuler les règles. En attendant cette lente et problématique réforme, plus malaisée à mettre en pratique qu’à inscrire dans les lois, les investigations des commissaires sénatoriaux ont mis à nu des plaies secrètes et de honteux ulcères, que le gouvernement ne sait comment guérir. La démission ou la destitution de quelquesuns des fonctionnaires les plus compromis a été le seul fruit immédiat de cette consciencieuse enquête, et le