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Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 2, Hachette, 1893.djvu/124

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tardif châtiment de quelques coupables a moins rassuré l’opinion que leur criminelle audace et leur longue impunité ne l’ont inquiétée.

L’empereur Alexandre III s’est, en montant sur le trône, donné pour première tâche de déraciner les abus administratifs dont ni son père ni son grand-père n’avaient su purger le sol de l’empire. Si l’on pouvait juger du succès en pareille matière par la loyauté des intentions et la droiture du caractère, jamais souverain n’eût été mieux préparé à semblable besogne. De tout temps ennemi des abus et des hommes corrompus, profondément honnête et ne pouvant tolérer la malhonnêteté autour de lui, inaccessible aux séductions féminines si puissantes sur son père, joignant, à l’inverse de ce dernier, les vertus de l’homme privé aux nobles aspirations du prince, incapable de toute faiblesse et de toute basse compromission pour des favoris ou des favorites, scrupuleusement économe des deniers de l’État et tout plein de la sainteté de sa mission, Alexandre III semble, personnellement, plus capable qu’aucun de ses prédécesseurs de délivrer l’empire du hideux cancer qui le ronge ; mais que peut un homme, si résolu et si austère qu’il soit, dans un État de plus de vingt millions de kilomètres carrés ? Un pareil empire n’est pas de ces domaines où l’œil du maître peut tout voir et suffire à tout. Quelle que soit son énergie, le souverain est condamné à l’impuissance ; après quelques efforts, faits d’ordinaire avec une ardeur et une ingénuité de novice, le plus confiant finit presque fatalement par se décourager, par se fatiguer et se résigner au mal qu’il ne saurait empêcher. Le souverain, en effet, ne peut gouverner, ne peut administrer surtout, que par les mains et les yeux d’autrui, et l’administration centrale, la cour et le haut tchinovnisme sont précisément les plus intéressés au maintien des abus et des anciennes pratiques. Déjà, s’il faut en croire la voix publique, les spéculations et les prévarications, l’agiotage et les tripotages ont recom-