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Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 1, Hachette, 1890.djvu/117

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demeuré, pendant longtemps, fermé à toute influence de l’Orient et de l’Occident. Il a été, de tous les peuples de l’Europe, le dernier à recevoir le christianisme, et, encore aujourd’hui, ses langues sont, de tous les idiomes européens, les plus proches du sanscrit. Nulle famille humaine n’a eu moins de migrations, nulle n’a habité un territoire aussi compact, et aucune n’a été, à ce point, morcelée par l’histoire, par les conquêtes, par la religion. Pressés entre des races plus nombreuses qui les ont refoulés petit à petit, les Letto-Lithuaniens sont maintenant réduits à environ 3 millions d’âmes, parlant trois langues, le lithuanien, le samogitien, le letton ; ils sont partagés entre deux États, la Russie et l’Allemagne, sans compter le royaume de Pologne, dont ils occupent le nord-est. Disputés par trois nations, les Allemands, les Polonais, les Russes, qui ont tour à tour pris pied chez eux, ils ont reçu la religion des uns et des autres, et se trouvent ainsi divisés en protestants, en catholiques, en orthodoxes. Leurs deux groupes principaux, le lithuanien et le letton, ont eu des destinées dont l’opposition répond à tous ces contrastes.

Le premier, le plus nombreux, a joué longtemps un rôle considérable entre la Russie et la Pologne ; il a, sous les Jagellons, été un moment sur le point de saisir l’hégémonie du monde slave. Unie pendant quatre siècles à la Pologne sans se confondre avec elle, agrandie aux dépens des anciennes principautés russes, la contrée à laquelle les Lithuaniens ont donné leur nom a été annexée à la Russie lors des trois partages de la Pologne ; elle est demeurée, entre ces deux pays, l’objet d’une contestation historique qui a été le principal obstacle à leur réconciliation. Mêlés aux Polonais et aux Russes, qui les menacent d’une double absorption, les Lithuaniens et les Samogitiens, leurs frères de langue et de race, comptent encore, dans l’ancienne Lithuanie, près de 2 millions d’âmes, pour la plupart catholiques ; ils forment la majorité de la population dans les deux gouvernements de Vilna et de Kovno.