Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 1, Hachette, 1890.djvu/139

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Il est naturel que le gouvernement russe, qui les possède depuis deux siècles, cherche à dégermaniser et à moderniser ses provinces baltiques, en dépit des chartes ou privilèges accordés aux Livoniens par Pierre le Grande lors de leur annexion à l’empire. Il est naturel que, pour diminuer la prépondérance allemande, Pétersbourg et Moscou appellent à leur aide l’ancien serf finnois ou letton ; mais partout une pareille entreprise exige singulièrement de prudence, de patience, de modération.

L’esprit et l’ascendant allemands sont trop profondément enracinés dans le sol pour s’en laisser aisément extirper, et l’on ne saurait s’attacher un pays sans tenir compte de ses coutumes et traditions. En suivant toutes les inspirations des russificateurs à outrance, le gouvernement de Pétersbourg, sous prétexte d’assimiler le pays baltique, courrait le risque de se l’aliéner, le risque d’y créer un parti séparatiste, en irritant les classes dominantes et ces Allemands-Russes qui ont toujours été fidèles aux tsars et qui, de Barclay de Tolly à Totleben et d’Ostermann à Nesselrod, leur ont fourni plus d’un illustre général ou d’un ministre distingué. Sur la Duna, de même que sur la Vistule et le Dnieper, le meilleur moyen d’assurer la domination russe est encore de la rendre douce, de ne point violenter les traditions et les mœurs locales, autant du moins qu’elles sont compatibles avec l’esprit du siècle et le maintien de l’intégrité de l’empire[1].

Les provinces baltiques ne sont pas les seules où les Russes aient à surveiller le germanisme ; en réalité, ce ne sont même peut-être pas celles où le niémets est pour eux le plus à redouter. Courlande, Livonie, Esthonie sont, de par la géographie, enchaînées au grand empire dont

  1. Aucune question peut-être en Europe n’a donné lieu à une aussi grande mnltitude d’écrits de toute sorte que cette question des provinces baltiques, qu’il nous est impossible d’examiner ici en détail. Il y aurait de quoi composer tout une bibliothèque avec les livres et brochures en russe et surtout en allemand, suscités par l’apparition des Okraïni Rossii (Frontières de la Russie) de George Samarine.