Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 1, Hachette, 1890.djvu/140

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elles occupent le littoral, et auquel leurs ports servent de débouchés. Séparées de la Russie, les trois provinces seraient pour ainsi dire coupées du continent, elles tomberaient dans une situation analogue à celle de la Dalmatie autrichienne avant que l’occupation de la Bosnie et de l’Herzégovine ne lui ait assuré un Hintergrund. Les provinces baltiques ne sont même pas celles où l’on compte le plus d’Allemands.

Indépendamment de leurs colonies marchandes des villes et de leurs colonies agricoles des campagnes, également dispersées d’un bout de l’empire à l’autre, les Allemands se sont infiltrés peu à peu dans les provinces limitrophes de la Prusse et de l’Autriche, en Pologne, en Lithuanie, en Petite-Russie[1]. Sur beaucoup de points, ils s’y emparaient lentement du sol et des capitaux, malgré la concurrence des juifs indigènes qui, en certaine occurrence, pourraient du reste, comme dans la Poznanie, leur servir d’auxiliaires et faciliter la germanisation[2]. Dans le royaume de Pologne en particulier, les Allemands sont déjà proportionnellement plus nombreux que dans les provinces baltiques regardées comme leur principal centre.

La question polonaise, tant de fois tranchée en sens divers depuis un siècle, se complique en réalité d’une question allemande. Cela est, en partie, la faute de la politique russe qui, dans sa peur du polonisme, a favorisé le germanisme, permettant, jusqu’en 1884, l’acquisition du sol à l’Allemand, là où elle l’interdisait au Polonais et au juif. « Je crains moins les Allemands que les Polonais », écrivait N. Milutine au lendemain de l’insurrection de 1863[3]. Milu-

  1. Les statistiques sur le mouvement des voyageurs aux frontières montre qu’il entre chaque année en Russie 30, 40, parfois 50 000 Allemands de plus qu’il n’en sort, sans compter 30 ou 40 000 Autrichiens, en partie allemands.
  2. Pour empêcher la propriété rurale de passer aux mains des Allemands, l’empereur Alexandre III a recouru à un procédé radical. Un oukaze a, en 1884, enlevé aux étrangers, dans les provinces occidentales, le droit d’acquérir des terres, soit par achat, soit même par héritage.
  3. Lettre inédite de N. Milutine à Tcherkassky, 8/20 février 1865.