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Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 1, Hachette, 1890.djvu/171

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cule cule du naturalisme, M. Zola, qui a longtemps compté plus d’admirateurs parmi les Russes que dans sa propre patrie.

Rien n’est complexe comme le caractère d’un homme, à plus forte raison comme celui d’une nation ; après en avoir décrit une face, il faut montrer la face opposée, sous peine d’en donner une fausse ressemblance. En Russie comme ailleurs la nature, qui influe sur l’homme de tant de façons diverses et détournées, ne l’incline pas toujours dans le même sens. Elle n’agit pas seulement sur le tempérament par le climat, par le régime et les habitudes, sur le caractère par les besoins qu’elle impose ou les facultés qu’elle stimule ; elle agit d’une manière non moins puissante, sur l’imagination et l’âme tout entière par ses aspects, par les tableaux qu’elle présente, par les impressions qu’elle éveille. Or la nature n’étant nulle part plus simple, plus une qu’en Russie, nulle part ces impressions ne sont plus nettes. Une des premières qu’éprouve le voyageur, c’est un sentiment de tristesse. Cette tristesse émane du ciel et du climat : les peuples du Nord en sont tous plus ou moins atteints ; en Russie elle s’exhale non moins de la terre plate et monotone. Le Russe du Sud, le Petit-Russe n’y est pas moins sujet que celui du Nord[1].

L’âme russe est mélancolique. Si l’ennui incurable, si l’hypocondrie ou le spleen britannique sont plus rares qu’en Angleterre, c’est que, en étant plus âpre, le climat est beaucoup moins humide et moins nébuleux, c’est peut-être aussi que la tristesse du Russe est voilée ou dissipée par sa sociabilité, une des qualités les plus générales chez les Slaves, une de celles qu’en Russie la réclusion même de l’hiver et ses longues nuits ont le plus contribué à développer. Le goût du Russe pour le plaisir ou les émotions, son amour des voyages, sa passion pour le jeu, son penchant même à l’ivresse, ne sont souvent, comme chez

  1. Tchoubinski : Travaux de l’expédition ethnogr.-statist. dans la Russie occidentale. — Iougo-sapadnyi oldél, tome VII, p. 346.