Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 1, Hachette, 1890.djvu/178

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La plupart des paysans, naguère encore du moins, étaient, en quelques semaines, capables de construire eux-mêmes leur habitation ; pour cela une hache leur suffisait. Au temps où le pays était moins déboisé, l’izba, bien qu’autrement vaste et confortable, se remplaçait presque aussi aisément que le gourbi de l’Arabe. Peut-être était-ce encore là une des causes de ces goûts nomades trop souvent attribués aux Russes. En tout cas, la fréquence des incendies reste, en dépit des assurances récemment introduites, un obstacle à l’esprit de suite, à l’idée de la durée et de la stabilité, au souci du lendemain. Ce fléau, toujours suspendu sur les villages, diminue l’affection pour la maison, pour le home, affection qui, partout, a été l’un des grands agents de moralité, d’ordre et d’économie, et qui serait plus naturelle aux Russes qu’à tout autre peuple, puisque, depuis l’émancipation, chaque paysan est propriétaire de la maison qu’il habite.

En général, les peuples du Nord ont moins d’attachement pour le sol que ceux du Midi. L’émigration leur coûte moins ; on le voit par l’Allemagne et l’Angleterre, on le voit par les pays Scandinaves, qui, avec une population peu dense, envoient chaque année au Canada et aux États-Unis un contingent d’émigrants considérable. Le Russe, le paysan du moins, quitte peu sa patrie ; il y est retenu par les institutions, par les préjugés, par la religion ; mais la Russie est assez grande pour ouvrir un champ à son humeur voyageuse. La plaine invite à marcher, à aller devant soi ; rien sur ce sol monotone n’engage à s’arrêter, à se fixer. De là en partie, chez l’ancien Cosaque et chez le simple paysan, cette facilité de déplacement, qui se manifeste de tant de façons, dans les foires, dans les pèlerinages, dans la recherche des terres nouvelles, et qui, selon les historiens, fut un des motifs de l’établissement du servage.

Cette disposition à aller devant soi, à l’aventure, correspond à une tendance morale peut-être plus digne d’être