Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 1, Hachette, 1890.djvu/339

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scrits dans les guildes. C’était, en fait, une sorte de noblesse d’un nouveau genre, de noblesse bourgeoise conférée par le souverain ou par lettres du sénat, en récompense de certains services et de certaines fonctions. Comme la noblesse russe proprement dite, celle-ci comptait deux degrés, deux catégories. Il y eut le citoyen honorable personnel et le citoyen honorable héréditaire, ce dernier ayant le droit de transmettre à ses enfants sa qualité et les exemptions qui y étaient attachées. Cette rubrique existe toujours dans la nomenclature sociale de la Russie ; mais le nom de potchetnyi grajdanine n’est plus qu’une distinction honorifique. Les principales exemptions attribuées à ce titre ont été accordées à tous les habitants des villes. L’abrogation de la capitation et des peines corporelles, d’un côté, rétablissement du service militaire obligatoire d’un autre, ont singulièrement diminué la valeur de toutes ces distinctions. Bourgeois honorables et marchands ne peuvent conserver beaucoup de privilèges, alors qu’il n’en demeure presque plus à la noblesse. Les noms et la terminologie, les cadres des anciennes subdivisions persistent comme des souvenirs ou des points de repère, commodes pour l’administration et la statistique ; ils ont peu de valeur effective. Dans l’intérieur des villes, naguère encore coupées en compartiments si tranchés, l’égalité civile paraît si bien établie qu’il reste peu de chose à y ajouter.

Ce sont aujourd’hui les mœurs, l’éducation, le degré de civilisation qui continuent à maintenir séparées les différentes classes de la société. Les habitudes dressent entre elles des barrières que la loi ne peut renverser. À cet égard, les distinctions de classes restent encore plus marquées que dans l’occident de l’Europe. De la façon inégale dont la civilisation a pénétré dans les diverses couches de la société, il n’en saurait être autrement. La noblesse, qui a longtemps eu le monopole de l’éducation européenne, continue à vivre à part, isolée des marchands et d’une bourgeoisie à laquelle la richesse n’a point encore