Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 1, Hachette, 1890.djvu/340

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fait franchir le seuil de la culture. C’est ainsi que, dans les grandes villes, il y a d’ordinaire doux cercles, deux clubs, l’un pour la noblesse, l’autre pour les marchands. Les deux classes forment, au point de vue du monde, deux villes à part, se voyant peu dans la vie privée, différant même par le genre de vie. Déjà cependant se manifestent des signes d’une prochaine révolution. La noblesse et la bourgeoisie ne se rencontrent pas seulement dans les assemblées publiques pour les affaires de la ville ou de la province, elles commencent à se rapprocher l’une de l’autre par les mœurs, par les goûts, par la culture, l’une se faisant plus nationale, l’autre se faisant plus européenne.

Il y a quelques années, un marchand russe était d’ordinaire un homme à longue barbe, à long caftan, à grandes bottes de cuir ; il était aussi fidèle que le paysan aux traditions moscovites et au costume national. Aujourd’hui, il y a le marchand du vieux temps, conservateur des vieux usages, parfois possesseur d’une grande fortune sans en être moins attaché à l’ancienne manière de vivre, orthodoxe ou raskolnik, comme le bas peuple, comme le moujik ou le mechtchanine dont il ne diffère réellement que par la richesse, fidèle observateur des jeûnes et des fêtes, unissant à un singulier degré la superstition à la finesse, la simplicité de l’existence à la grandeur des opérations commerciales. Il y a aussi le marchand moderne, souvent fils ou petil-fils du précédent, le marchand au menton rasé qui abandonne les usages de ses pères pour imiter la noblesse et les modes françaises. Le nombre en croit naturellement chaque jour ; ils ont des hôtels et des salons meublés avec luxe, si ce n’est toujours avec goût, et possèdent tout le confort de l’Occident. Leurs fils apprennent le français et voyagent à l’étranger ; beaucoup déjà mènent à Paris une vie aussi mondaine, aussi dissipée que les jeunes nobles de leur pays, et à leur retour quelques-uns savent se faire admettre dans les salons de la noblesse.

Entre ces deux types de marchands, il en est un inter-