Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 1, Hachette, 1890.djvu/598

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priétaires mixtes, mi-partie, pour ainsi dire, intéressés à la fois aux deux modes de propriété, et, plus que personne, en mesure d’en apprécier le fort et le faible. Cette nouvelle classe de paysans aisés, auxquels avec le bien-être viendra peu à peu l’instruction, sera pour le mir, naguère abandonné à de pauvres et ignorants moujiks, un principe de dissolution ou de rénovation. Sous leur influence, naturellement croissante, la commune devra modifier ses usages, admettre des notions nouvelles et de nouvelles méthodes, ou, si elle s’en montre incapable, succomber aux attaques de l’individualisme. Jusque-là, l’abolition de la communauté, avant que le moujik soit en mesure d’améliorer ses procédés de culture, aurait peu d’avantages économiques et peut-être de graves dangers politiques.

C’est aux paysans d’expérimenter eux-mêmes les mérites et les inconvénients des deux modes de tenure du sol. Si vastes que soient aujourd’hui les domaines communaux, le paysan aisé et entreprenant trouve encore assez de terre en dehors, pour arriver à la propriété individuelle, sans avoir nécessairement besoin d’abroger la propriété collective du mir. La Russie n’est point aujourd’hui contrainte de faire un choix entre deux régimes opposés, tous deux séculaires et également conformes aux habitudes nationales : rien ne l’oblige présentement à sacrifier l’un à l’autre. Chacun des deux modes d’occupation du sol a ses partisans, chacun peut avoir ses avantages sociaux, moraux, économiques. Grdce à l’étendue du sol russe, les deux formes rivales peuvent encore coexister, soit pour se redresser et se compléter mutuellement, soit pour triompher un jour définitivement l’une de l’autre, après avoir chacune fait leurs preuves.