Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 1, Hachette, 1890.djvu/600

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

troupeaux ne peuvent souvent trouver à s’abreuver qu’à des lieues de distance ? Il est vrai qu’aujourd’hui la propriété tend à se diviser, à se fractionner ; il est vrai que ce sont les grands propriétaires qui vendent, les paysans qui achètent. C’est là un fait incontestable, mais qui peut dépendre de conditions économiques transitoires plutôt que de conditions naturelles permanentes. Rien n’assure que, au mouvement actuel de morcellement des immenses domaines des anciens seigneurs, ne succédera pas un mouvement en sens inverse. Rien n’assure que, lorsque les capitaux seront plus abondants, la population plus dense, l’agriculture plus savante, la grande propriété et l’exploitation en grand ne reprendront pas rapidement l’avantage. Il y a là, comme en toutes choses, dans le monde économique, une question de concurrence. Le jour où la grande culture se montrerait plus productive, plus rémunératrice que la petite, la petite propriété individuelle serait exposée à de sérieux dangers. Elle ne serait guère mieux en état de soutenir la compétition de sa puissante rivale que les petits ateliers et les petites boutiques la compétition des grandes usines et des grands magasins[1].

Aujourd’hui, en Russie comme en France, il me paraît certain que la petite propriété n’a rien à redouter des envahissements de la grande. Le paysan pourrait perdre l’abri artificiel du mir sans avoir d’autres empiétements à craindre que ceux de ses pareils et des miroiédy qui seraient longtemps avant de reconstruire la grande propriété.

  1. En Angleterre, par exemple, c’est là, croyons-nous, une des causes de l’excessive prédominance de la grande propriété. Longtemps il y eut, chez nos voisins, de petits propriétaires, et la force de l’État fut chez les yeomen. La grande propriété a englouti les débris de la petite, encore fréquente au dix-huitiéme siècle. La réduction des biens communaux par les enclosure acts n’a profité qu’à la première. Selon Fawcet, Manual of political economy, les enclosure acts ont, depuis 1710, enlevé 8 millions d’acres aux communes pour les donner aux grands propriétaires. Voyez M. Wren Hoskyns dans les Systems of land tenure in various countries. De là en Angleterre, et surtout en Irlande, un prolétariat, un paupérisme rural, comparable au prolétariat industriel d’autres pays.