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Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 2, Hachette, 1893.djvu/106

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blesse (dvôrianstvo), avaient, grâce à leur mode d’entretien et de dotation territoriale, des intérêts particuliers, à la fois différents de ceux de l’État et de ceux des localités qu’ils gouvernaient[1]. Déjà le peuple était victime d’une administration à la fois ignorante et corrompue. La Russie du dix-huitième siècle était presque entièrement privée des classes où se recrutaient ailleurs les fonctionnaires de l’État. Le dix-neuvième siècle n’a pas encore entièrement comblé cette lacune. Ce but, en apparence si modeste, la création d’un corps de fonctionnaires capables et moraux, est depuis Pierre et Catherine un des objectifs principaux de la Russie et de son gouvernement. Pendant longtemps les établissements d’instruction fondés à grands frais par le pouvoir central ont en Russie, tout comme en Chine, eu pour première mission de préparer à l’État des serviteurs et des agents. Ainsi se montre dans toute son étendue la tâche que s’étaient imposée l’autocratie et la centralisation. Cette administration, chargée d’importer aux rives du Volga la civilisation de l’Europe, il fallait d’abord la dresser elle-même aux usages et aux mœurs, si ce n’est à l’esprit de la culture européenne.

Le principal moyen employé par Pierre le Grand, qui ne pouvait toujours recourir à des étrangers, fut le tchine et le tableau des rangs[2]. Cette institution, qui faisait dépendre le rang et les préséances du grade civil ou militaire, fut avant tout un mode de recrutement des fonctionnaires de l’État. Pour la noblesse, contrainte, sous peine de perdre ses droits et privilèges, à entrer dans l’armée ou l’administration, le tableau des rangs de Pierre le Grand fut une sorte de conscription ou, mieux, un véritable service obligatoire. Pierre parvint ainsi à rassembler pour l’empire un nombreux contingent d’employés ; mais, les

  1. A. Gradovski : Systémy mésinago oupraviénia, II (Sbomik Gosoud, znanii, t. VI, 1878).
  2. Voy. t. I, liv. VI, chap, ii.