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Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 2, Hachette, 1893.djvu/111

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ties contre les prévarications des représentants de la loi et de l’autorité. Comme un venin ou un virus répandu dans tout le corps social, la corruption administrative en a empoisonné tous les membres, altéré toutes les fonctions, énervé toutes les forces. La vénalité a longtemps fait des meilleures lois une lettre morte ou une menteuse étiquette, elle a entravé dans son naturel développement les progrès de la richesse publique, préparé aux souverains et à la nation de tristes mécomptes sur les champs de bataille.

C’est sous l’empereur Nicolas, sous le prince qui a peut-être fait le plus d’efforts pour le combattre, que ce mal invétéré a atteint son plus haut période, comme pour montrer l’impuissance du despotisme à le guérir. Le vice que l’autocratie ne pouvait atteindre, que la presse n’avait pas le droit d’attaquer, a été hardiment mis sur la scène par l’un des plus populaires écrivains de la Russie et des plus grands humoristes de l’Europe. L’inspecteur ou reviseur (revisor) de Gogol nous a, dans une série de portraits d’un haut relief, montré ce qu’étaient alors les mœurs de la bureaucratie russe. Les fonctionnaires d’une ville de province, qui attendaient depuis longtemps déjà la venue d’un inspecteur secret, chargé de faire un rapport sur leur administration, viennent d’être amicalement avisés de l’arrivée de ce redoutable personnage. Au même moment se rencontre à l’auberge de la ville un aventurier en voyage, arrêté par le manque d’argent. Les tchinovniks prennent le voyageur en détresse pour le reviseur annoncé, et, n’ayant aucun les mains nettes, ils s’empressent à l’envi de se concilier leur juge supposé à force de présents et d’obséquiosités. L’aventurier garde d’autant mieux son incognito qu’il ne comprend point d’abord les politesses dont il est l’objet. Les naïves adulations de ses visiteurs lui révèlent cependant bientôt le mot de l’énigme ; il cesse de se défendre et, entrant dans le rôle qui s’offre à lui, reçoit majestueusement les hommages et les gratifications des fonctionnaires. : Bref, l’Aventurier s’éloigne après plusieurs jours de