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Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 2, Hachette, 1893.djvu/129

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qualité de vice-gouverneur. Le scrupuleux fonctionnaire appelle son secrétaîre, lui dicte la réponse, la signe comme gouverneur et se la fait adresser comme vice-gouverneur : la régularité de la correspondance officielle ne souffrait ainsi en rien de l’absence du premier fonctionnaire de la province. L’abus des écritures avait des inconvénients plus graves, celui entre autres de multiplier les commis avec les bureaux ou les chancelleries, par là même d’augmenter le nombre des employés insuffisamment payés, le nombre des tchinovniks vivant aux dépens de la fortune publique ou de la fortune privée. L’administration se trouvait ainsi enfermée dans une sorte de cercle vicieux dont la bureaucratie ne pouvait la faire sortir[1].

La complication de la procédure administrative a eu en Russie une autre conséquence, moins attendue encore : le mépris des règlements, qui sont trop nombreux, trop gênants pour être toujours fidèlement observés. À force de vouloir conduire les fonctionnaires pas à pas, le législateur les a habitués à prendre des libertés avec la loi, ou à n’en respecter que les formes extérieures. C’est qu’en vérité l’observation des règles prescrites amène parfois d’intolérables lenteurs. S’agit-il, par exemple, de la réparation d’un édifice public, d’un toit, d’un mur, d’un poêle, le législateur exige d’interminables formalités : enquête préliminaire, rapport à un comité, rapport au ministère, contre-enquête, devis de réparation, expertises, vérifications de toute sorte. Les précautions prises par la loi sont telles que, si l’on voulait s’y conformer, le toit aurait le temps de s’effondrer ou le mur de s’écrouler. Comment procède-t-on dans la pratique ? On commence par faire la réparation ; quant aux formalités, enquêtes, rapports, expertises, elles n’ont souvent lieu que sur le papier, dans les minutes des

  1. L’une des premières préoccupations de l’empereur Alexandre III a été de chercher à diminuer le nombre des employés, en simplifiant les écritures et les formalités administratives ; mais cette réforme peut longtemps rester à l’état de pieux desideratum.