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Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 2, Hachette, 1893.djvu/148

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L’omnipotence de la police d’État est chose ancienne en Russie. Avec des formes diverses et des noms différents, ce pays a depuis des siècles, sauf de rares intermittences, vécu sous une sorte de loi des suspects. Il y a là un des chapitres les plus tristes de son histoire. Les Russes disent souvent que, dans l’ancienne Moscovie, il n’existait rien d’analogue à la troisième section des derniers empereurs et à l’inquisition secrète de Pierre le Grand ; beaucoup même répètent avec les Slavophiles que, dans la Russie des vieux tsars, où le souverain était en communication directe avec le peuple, il n’y avait pas de place pour des chancelleries secrètes. C’est là un de ces lieux communs du patriotisme moscovite, que ne semblent point confirmer les faits. Aux sinistres et ingénieuses machines de répression, montées par Pierre le Grand et par Nicolas, on peut trouver de rudes et grossiers modèles sous les premiers Romanofs, voire même sous les derniers Rurikovitchs.

Le premier exemple en remonte au moins à Ivan le Terrible, qui, en confiant le soin de sa sécurité à son opritchnina, avait abandonné le pays à l’arbitraire de cette garde privilégiée, et fait planer sur la Russie une véritable terreur. Le tsar Alexis, père de Pierre le Grand, avait déjà, pour les procès politiques et les affaires concernant la cour, une chancellerie secrète, justement redoutée des contemporains, bien que quelques historiens de nos jours s’en soient faits les défenseurs. Pour Pierre le Grand aucun doute, il avait, sous le nom de prikaz de Préobrajenski[1], une véritable inquisition d’État. On comprend la création d’un pareil instrument d’espionnage et de compression, à une époque où les brusques changements introduits par Pierre avaient provoqué dans toutes les couches de la nation tant de sourdes et opiniâtres résistances. On devine

  1. Ce mot signifie transformation, transfiguration ; mais ici il ne fait point allusion aux réformes du grand monarque, c’est seulement le nom du lieu où siégeait alors la chancellerie secrète.