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Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 2, Hachette, 1893.djvu/149

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quel usage en fit tout le dix-huitième siècle, alors que chaque règne s’ouvrait par une révolution et par l’exil ou la mort des maîtres de la veille. Appelée inquisition secrète sous Catherine II et Paul Ier, troisième section de la chancellerie impériale sous Nicolas et Alexandre II, l’inquisition politique est demeurée jusqu’à nos jours le trait caractéristique du gouvernement russe, comme naguère encore l’inquisition religieuse était le trait du gouvernement espagnol. Abolie solennellement et « pour toujours » par Pierre III en 1762, supprimée avec non moins de solennité, et publiquement flétrie par Alexandre Ier, comme démoralisatrice et pernicieuse, cette institution, tant de fois renaissanle, a été abrogée une troisième fois, en 1880, par Alexandre II, qui s’en était lui-même longtemps servi.

Un des motifs de la durée et des successives résurrections de cette inquisition d’État, c’était, pour le gouvernement impérial, le désir de trouver un frein à la corruption et à l’arbitraire administratif, le besoin, pour le pouvoir, de suppléer par la surveillance de ses agents à l’absence de liberté et de publicité. Instrument de contrôle que rien ne contrôlait, cette inquisition politique devait infailliblement se changer, aux mains des puissants et des favoris du jour, aux mains de la haine, de l’ambition ou de la peur, en instrument de domination, de persécution, d’extermination. De Pierre le Grand aux derniers jours d’Alexandre II, aucun engin de despotisme et d’oppression, pas même peut être l’inquisition espagnole, n’a fauché tant de vies humaines et broyé tant d’existences, d’autant plus qu’aucun n’a jamais fonctionné plus discrètement et avec moins de bruit. Il n’y aurait pas de martyrologe aussi long que celui de cette chancellerie d’État. Le nombre de ses victimes de tout rang, de tout âge, de tout sexe, est d’aulant plus grand et plus difficile à compter qu’au lieu d’en faire de publics autodafés elle les entourait presque toujours de mystère et les ensevelissait dans les neiges