Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 2, Hachette, 1893.djvu/151

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gardé que peu de temps. Redevenue de nouveau, grâce au pistolet de Solovief, la vraie souveraine de l’empire, la troisième section s’est montrée singulièrement au-dessous de sa tâche ; elle n’a su ni prévenir ni réprimer les attentats commis au plus grand jour. À Pétersbourg, à Kief, à Odessa, à Kharkof, dans toutes les grandes villes, elle a laissé éclater son impuissance, ne sachant ni se défendre contre les vengeances des agitateurs, ni découvrir ou arrêter les coupables. Avant de porter leurs coups jusque sur le trône et le tsar, les révolutionnaires s’étaient essayés sur la haute police et les chefs des gendarmes. Entre le nihilisme et la troisième section s’était engagé, vers 1878, une sorte de duel où la police de la chancellerie impériale trahit, à tous les yeux, son inhabileté à parer les coups de son invisible adversaire. La troisième section succomba, sacrifiée par le désappointement du pouvoir aux rancunes de l’opinion. De ses deux derniers chefs, l’un, le général Mezentsef, est tombé dans les rues de Saint-Pétersbourg, sous le poignard d’un inconnu ; l’autre, le général Drenteln, tiré en plein jour dans sa voiture par un jeune homme à cheval[1], donna sans regret sa démission après le deuxième attentat nihiliste sur l’empereur. La troisième section s’était montrée aussi incapable de protéger la vie du souverain que la vie de ses chefs. Le général Drenteln n’eut pas de successeur ; le poste de chef des gendarmes, devenu aussi périlleux que celui du souverain, fut aboli, et la troisième section supprimée pour ne plus jamais revivre, sans doute, sous ce nom abhorré. De 1826 à 1880, son règne avait duré plus d’un demi-siècle[2].

  1. Le jeune Miraki, alors âgé de dix-huit ans, arrêté longtemps après et condamné aux travaux forcés en Sibérie.
  2. Durant ces cinquante-cinq ans, les fonctions de chef des gendarmes ont été successivement remplies par le comle Benkendorf, frère de la célèbre princesse Lieven, le comte depuis prince Orlof, représentant de la Russie au congrès de Paris et père de l’ambassadeur du tsar en France, le prince Vasili Dolgoroukof, le comte P. Chouvalof les généraux Potapof, Mezentsef et Drenteln.