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Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 2, Hachette, 1893.djvu/152

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« On répète souvent que les attentais ne servent à rien, me disait à ce propos une dame russe, — le poignard et les balles nous ont cependant débarrassés de la troisième section. » Les révolutionnaires auraient, en effet, pu se vanter d’une grande victoire, et les partisans des moyens violents, les terroristes de Saint-Pétersbourg, eussent pu se féliciter d’avoir rendu un indéniable service à la patrie, si tout ce que désignait le nom de troisième section avait été supprimé par l’oukaze d’août 1880. La destruction d’une institution qui passait justement pour le principal organe du régime autocratique, eût pu être saluée comme l’aube d’une ère nouvelle et le présage d’une autre émancipation. Malheureusement telles ne devaient pas être les conséquences de l’oukaze d’Alexandre II. En supprimant la troisième section de sa chancellerie privée, le libérateur des serfs n’avait nulle envie d’affranchir ses sujets du servage de la police secrète. Quoique signée dans une période d’accalmie apparente, cette mesure, prise entre deux attentats, n’indiquait point que le souverain eût assez de confiance en son gouvernement ou dans son peuple pour renoncer à la sauvegarde de la haute police. En fait, la troisième section a été plutôt décapitée que supprimée, plutôt transformée que détruite. L’acte qui semblait dépouiller l’autocratie de son instrument de prédilection, n’a pas été accompli avec l’intention de désarmer le pouvoir. Loin de là, en la rayant de sa chancellerie particulière, Alexandre II n’a privé la police d’État d’aucune des facultés et prérogatives, d’aucun des moyens d’action qui lui avaient été concédés par Nicolas. Au lieu d’être une mesure de concession, de recul ou de désarmement, l’abrogation de la troisième section a été, pour le pouvoir, un acte de concentration et de groupement de ses forces. Le tsar a simplement réuni ses deux polices. On était dans l’été de 1880, en pleine lutte contre le nihilisme, à quelques mois des explosions de la gare de Moscou et du palais d’hiver de Pétersbourg ; l’empereur, après avoir divisé la Russie,