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Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 2, Hachette, 1893.djvu/16

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delée sur ce type traditionnel dont la Hoscovie des tsars et la Russie impériale ont de plus en plus dévié. Aux communautés de village et à l’État, au mir du moujik et à l’autocratie tsarienne, on peut cependant trouver un prototype commun, encore vivant au fond du peuple, la famille[1]. Entre ces trois termes, ces trois degrés de la vie sociale, entre la famille, la commune et l’État, on a découvert une ressemblance de principe, une analogie de constitution, qui ont fait considérer les deux derniers comme provenant directement de la première. État, commune, famille ont paru comme les trois anneaux consécutifs d’une même chaîne, trois anneaux faits de même métal sur le même patron et ne différant guère que par les dimensions[2]. La commune n’est que la famille agrandie, l’État enfin, ou mieux le peuple russe, n’est que la réunion de toutes les communes formant une grande famille, dont primitivement tous les membres étaient égaux et dont le père est le grand-prince, le tsar, l’empereur. Le pouvoir du souverain est illimité, comme le pouvoir du père. L’autocratie n’est, ainsi, que le prolongement de l’autorité paternelle. De la part des Russes, c’est du reste, à tous les degrés de l’échelle, une obéissance d’enfant plutôt qu’une obéissance d’esclave. Le langage populaire est à cet égard instructif, et il n’y faut pas voir de vaines et vides formules. À son égal, le Russe dit : mon frère ; à son supérieur de tout rang, à son seigneur jadis, aux fonctionnaires, au tsar même, l’homme du peuple dit : père, petit-père, batiouchka. De la base au sommet, l’empire immense du Nord paraît dans toutes ses parties et à tous les étages construit sur un même plan et dans un même style ; toutes les pierres semblent provenir d’une seule carrière, et l’édifice entier repose sur une seule assise, l’autorité patriarcale. Par ce côté, la Russie se rapproche des vieux

  1. Sur la famille grande-russienne, voyez t. I, liv. VIII, chap. ii.
  2. Voyez particulièrement Haxthausen, Studien, III, p. 120, 153, 198, 200.