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Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 2, Hachette, 1893.djvu/178

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En perdant le privilège de la propriété foncière, la noblesse devait perdre le monopole de la représentation provinciale. C’était là une des conséquences naturelles de l’émancipation. Aux assemblées composées exclusivement de la noblesse ont succédé des assemblées où sont représentés tous les détenteurs du sol et les anciens serfs à côté de leurs anciens maîtres.

L’acte d’émancipation qui avait érigé le mir du moujik en commune autonome et modifié d’une façon radicale l’administration des campagnes, conduisait nécessairement à une refonte de l’administration provinciale. Les promoteurs de la grande réforme initiale l’avaient compris. Dès l’année 1860, avant même la publication du manifeste du 19 février, le ministère de l’Intérieur, alors dirigé par le comte Lanskoï ou plutôt par son adjoint Nicolas Milutine, avait proposé tout un ensemble de réformes adminiislratives. Milutine et son ministre comptaient introduire le self-government dans les provinces, comme par la charte d’émancipation ils l’avaient établi dans les communes de paysans[1]. À leurs yeux, les deux réformes étaient connexes,

    la banque rurale, fondée deux ou trois ans plus tôt au profit des paysans. Singulière logique de la prévoyance gouvernementale ! L’État institue un Crédit foncier à taux réduit pour faciliter aux paysans l’achat des terres de leurs anciens maîtres ; et en même temps il fonde un autre Crédit foncier, également à taux de faveur ; pour permettre à la noblesse de conserver ses terres !

  1. Dès le 22 février 1861, le troisième jour après la proclamation de la charte d’affranchissement, Nicolas Milutine, répondant à une demande faite au nom du grand-duc Constantin, écrivait à M. Golovnine : « Nous avons en vue deux institutions provinciales : 1o l’administration de gouvernement (goubernskoé pravlénié) sous la présidence des gouverneurs, pour la police et les affaires courantes ; 2o la commission territoriale (semskoé prisoustvié) ou chambre territoriale (zemskaïa palata) sous la présidence des maréchaux de la noblesse ou d’une autre personne élue, pour la gestion des affaires économiques, des affaires d’intérêt local, de bienfaisance, etc. Nous nous proposons de donner à la chambre territoriale toute l’indépendance possible, sous le contrôle d’élus des diverses classes et, dans quelques cas, sous la surveillance du gouverneur et du ministre. Le plan de cette réforme est en train d’être terminé dans un comité spécial du ministère, etc. » Voyez Un homme d’État russe (Nicotas Milutine) d’après sa correspondance inédite (1884), p. 68.