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Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 2, Hachette, 1893.djvu/22

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encore d’élections politiques, ni le gouvernement ni les particuliers n’ont intérêtà les en faire sortir pour changer les fonctionnaires communaux en agents du pouvoir ou des partis. Ainsi s’explique le maintien de ces petites démocraties dans un État autocratique, et la coexistence séculaire de ces deux autorités, également respectées et presque également souveraines dans leur domaine respectif, l’autorité du mir et l’autorité du tsar. Entre elles, il n’y a pas de lutte, pas de conflit, parce qu’il n’y a pas de frottement, qu’il n’y a même pour ainsi dire pas de contact.

Ainsi s’explique, ce qui est peut-être plus remarquable encore, l’autonomie légale de la commune dans un pays où règne une bureaucratie omnipotente et minutieuse, jalouse de mettre partout sa main et sa marque. Le dédain des hautes classes pour le moujik, leur longue ignorance des choses du mir, ont été pour ce dernier une barrière et une protection. Les communes rurales sont cependant loin d’être toujours à l’abri de l’ingérence et des rapines des employés inférieurs. Avant l’émancipation, les paysans des domaines de l’État avaient à compter avec les exigences des tchinovniks comme les serfs des propriétaires avec l’arbitraire du seigneur ou avec la rapacité de son intendant. Aujourd’hui encore les communes sont souvent, de la part de la police et des employés inférieurs, victimes d’abus de pouvoir et de prévarications qui, dans la pratique, leur enlèvent les bienfaits de leurs libertés.

Les fonctionnaires de la commune sont tous élus, et d’ordinaire tous payés. C’est encore là une des conséquences naturelles de la constitution même du mir, de l’égalité de ses membres et du régime de la communauté. Des paysans, choisis par leurs voisins, ne pourraient guère, le plus souvent, exercer gratuitement des fonctions qui exigent du temps et imposent de la responsabilité. À cet égard aussi, la commune russe est un type vivant et obscur de l’extrême démocratie ; ce qui est plus singulier.