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Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 2, Hachette, 1893.djvu/225

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Dieu et au tsar, me disaient-ils, nous n’avons pas, comme vous autres Français, débuté par des constitutions, par des chambres et des ministères responsables, par des libertés politiques, c’est-à-dire le plus souvent par la licence et les révolutions. Heureusement pour nous, notre gouvernement n’a pas écouté notre impatience. Alexandre II ne s’est pas laissé enjôler par notre noblesse, qui, en dédommagement de l’émancipation de ses serfs, réclamait une charte. Nous n’avons pas comme vous, comme vos voisins d’Espagne ou d’Italie, sauté d’un bond, du régime le plus autoritaire à un régime de dispute, de division et d’énervement gouvernemental. Si nous avons pris la route la plus longue, nous avons pris la plus sûre. Nous marchons pas à pas, pour avancer sans reculs ni chutes, allant du petit au grand, du simple au complexe, de la province et de la municipalité à l’État. Nous procédons logiquement, organiquement, comme la nature même. Vous nous trouvez arriérés parce que nous ne possédons encore que des franchises locales ; en réalité, nous sommes plus avancés que vous. Avec cette méthode, nous ferons plus de besogne en vingt ans de gouvernement régulier que vous en un siècle de révolutions. Vous raillez nos humbles libertés ; laissez-nous faire, nous prenons notre temps, nous commençons notre maison par le bas, nous creusons patiemment nos fondations au lieu d’élever, comme vous, à la hâte un rapide et fragile échafaudage, toujours abattu et toujours à recommencer. Ne méprisez point notre lenteur : sur les fondements que nous posons aujourd’hui, nous assoirons un édifice plus solide et plus haut que toutes vos frêles constructions, trop dépourvues de base pour demeurer longtemps debout[1]. »

En dehors des cercles officiels il y aurait eu dès la fin du règne d’Alexandre II peu de Russes à tenir un pareil

  1. Ces idées se retrouvent chez nombre d’écrivains, chez le prince A. Vasilichtchkof par exemple, dans son O samooupravlénis.