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Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 2, Hachette, 1893.djvu/235

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tralisation et le self-government local peuvent seuls le faire vivre, le développer matériellement et moralement, mettre en œuvre ses ressources naturelles, élever sa richesse et sa civilisation au niveau de sa grandeur territoriale. Les dimensions mêmes de l’État, la variété des populations qui y sont renfermées, les différences du sol et du mode de tenure de la terre, y rendent le règne de la bureaucratie centraliste plus intolérable et plus stérile que dans des États moins étendus, à population plus dense et plus également répartie. Dans un pareil empire il est souvent malaisé de légiférer à la fois pour toutes les provinces, impossible de leur appliquer à toutes les mêmes règles. Quelle que soit la complexité de ses lois et règlements, le pouvoir central ne saurait prévoir toutes les exceptions et se conformer partout aux besoins locaux. Au lieu de surcharger le code de l’empire d’innombrables dispositions et distinctions, souvent mal appropriées aux localités et aux faits, le législateur devrait laisser une certaine latitude aux autorités locales, et, sous peine de favoriser l’arbitraire, cela ne peut être fait qu’au moyen des représentants de la société, au moyen des assemblées électives, des zemstvos surtout.

De la Baltique à la Caspienne, presque tout le monde le sent aujourd’hui. La centralisation bureaucratique, qui, durant deux siècles, a présidé à l’éducation européenne de la Russie, est presque universellement rendue responsable de la lente croissance et des faibles progrès de son élève. Comme un précepteur qui prétendrait s’imposer éternellement à un jeune homme et le maintenir, en dépit des années, sous son étroite tutelle, le tchinovnisme excite la haine et les révoltes du pupille qu’il prétend gouverner en enfant, sans plus rien avoir à lui apprendre. Pour la plupart des Russes, la bureaucratie est l’ennemie. Ils n’ont qu’un désir, s’émanciper de son joug. Selon une métaphore scientifique, devenue chez eux un axiome banal, il faut substituer à l’impulsion mécanique du tchinovnisme