Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 2, Hachette, 1893.djvu/236

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l’action organique du pays. Vis-à-vis de la bureaucratie, les deux partis ou les deux tendances qui se disputent la Russie sont par extraordinaire unanimes. Pétersbourg et Moscou semblent là-dessus d’accord. Libéraux à l’occidentale, ambitieux de voir entrer leur patrie dans la carrière des libertés constituGonnelles, et néo-slavophiles, prôneurs convaincus du régime autocratique, s’entendent au profit du self-government local. Les premiers y voient la meilleure préparation à la difficile épreuve des libertés politiques ; les derniers y découvrent l’équivalent et comme la rançon de ces périlleuses libertés qu’ils repoussent pour leur pays. Au lieu d’être, comme trop souvent, tiraillée en sens opposés par deux forces contraires, la Russie et son gouvernement sont ainsi poussés dans la même voie par les deux esprits rivaux qui se partagent la direction de l’opinion. En cédant à cette double impulsion, le gouvernement est sûr de céder au vœu général de la nation.

Rien de plus curieux, à cet égard, que l’attitude des conservateurs nationaux de Moscou[1]. Ce ne sont pas les moins décidés contre la bureaucratie, les moins ardents en faveur des zemstvos et du self-government provincial. Autant ils professent d’aversion et de dédain pour les fallacieuses et stériles libertés politiques de l’Occident, autant ils affectent de zèle pour les humbles et fécondes libertés locales. À leurs yeux, là est l’avenir de la Russie et l’idéal russe. C’est par là que peut être conciliée l’apparente antinomie de la liberté du peuple et de l’autocratie tsarienne. Pour réaliser leur dogme favori de l’union et, pour ainsi dire, de la communion du souverain et du peuple, il n’y a qu’à faire disparaître la bureaucratie qui se place entre le trône et le pays, qui les empêche de se voir, de se sentir, et les rend étrangers l’un à l’autre. S’ils réclament le self-

  1. Nous parlons ici des néo-slavophiles de l’école de M. Aksakof et non des absolutistes de l’école de M. Katkof et de la Gazette de Moscou.