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Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 2, Hachette, 1893.djvu/237

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government local, ce n’est point par défiance du pouvoir, comme une concession ou une diminution de l’autorité impériale, c’est par amour pour l’autocratie, afin de la fortifier, de la débarrasser de ce qui la souille et la compromet, de la délivrer d’une besogne ingrate et de vulgaires soucis, en la ramenant dans son domaine naturel, la sphère des intérêts généraux, pour laisser aux populations, aux provinces, aux villes, aux communes, le soin des intérêts locaux. Le pays (zemlia) s’administrant lui-même sur place (mêsino), avec un tsar autocrate à sa tête, telle est la formule de l’école qui prétend personnifier les traditions et les aspirations nationales. Pour elle les libertés provinciales et communales, loin d’être un empiétement sur l’autocratie, sont le meilleur moyen de la consolider et de la faire durer[1].

Je ne reviendrai pas ici sur ce que peut avoir d’illusoire cette théorie moscovite[2]. Une chose certaine, c’est qu’elle a des partisans nombreux, intelligents, de bonne foi, et, dans l’intérêt du pays comme du souverain, il est désirable qu’elle soit mise à l’épreuve des faits. Si chimérique que puisse nous sembler cette combinaison, c’est pour l’autocratie la seule chance de rajeunissement et de longue existence. Quand l’expérience ne réussirait pas, ni la Russie ni le tsar n’ont rien à y perdre. S’il ne peut suppléer à des libertés plus étendues, le self-government local peut, tout en y préparant, en rendre la privation moins sensible et moins dommageable. En tout cas, quelle que soit la marche suivie par le gouvernement, que la Russie s’attarde longtemps encore dans les modestes franchises provinciales et municipales, ou qu’elle soit lancée dans la bruyante carrière des libertés politiques, les États provin-

  1. Cette thèse a été soutenue avec un incontestable talent, dans la Rous de Moscou, de 1880 à 1885, par M. Aksakof et ses amis. (Voyez, par exemple, le no 26 : 1881.)
  2. Voyez plus haut le commencement de ce chapitre et aussi la conclusion de ce volume.