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Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 2, Hachette, 1893.djvu/240

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elles. Si pour le chiffre de leur population, si pour l’éducation et le genre de vie de la plupart de leurs habitants, beaucoup de chefs-lieux de district, et même de chefs-lieux de gouvernement, méritent peu le titre de villes, la Russie possède, outre ses deux capitales, quelques grandes cités de province, telles qu’Odessa, Kief, Kazan, Kharkof, qui ont un vaste rayon d’influence et sont de petites capitales régionales. Elles ont beau contenir à peine le neuvième ou le huitième de la population totale de l’empire, les villes russes n’en peuvent pas moins prétendre à personnifier l’esprit du pays et à former l’opinion. Aussi ne saurions-nous comprendre les hommes qui, par crainte de la propagande révolutionnaire, prêchent, depuis la mort d’Alexandre II, une politique toute rurale. En aucun pays l’opinion des campagnes ne compte moins. À cet égard, on pourrait dire que toute la Russie tient dans une dizaine de villes, qui, au milieu de l’isolement et du silence général, ont seules une société et seules une voix. Peut-être même devrait-on dire que toute la Russie tient dans ses deux capitales.

En tout pays centralisé, la capitale a sur les idées, sur les mœurs de la nation, une autorité considérable et souvent outrée. À force de tout rassembler dans une ville, la centralisation menace d’aboutir à une sorte d’hypertrophie de la tête aux dépens des membres. En Russie, la capitale exerce une domination non moins incontestée, non moins absolue que Paris en France ; mais, en Russie, cette royauté est dédoublée. L’autorité de la capitale s’y partage entre deux villes rivales qui se disputent l’influence. Comme l’aigle de ses armes impériales, la Russie a deux têtes, à peu près d’égale grosseur[1]. Dans aucun État uni-

  1. Moscou doit compter aujourd’hui bien près de 800 000 habitants ; Saint-Pétersbourg, d’après le recensement de décembre 1881, avait une population de 861 920 âmes, dont 475 000 du sexe masculin, 386 000 seulement du sexe féminin. Avec les faubourgs suburbains, Pétersbourg comptait environ 1 million d’habitants, sur lesquels un quart seulement (252 000) étaient nés dans la capitale. Recensement de décembre 1888, 975 000 âmes.