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Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 2, Hachette, 1893.djvu/241

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taire, il n’y a deux villes tenant une aussi grande place et se faisant ainsi contrepoids. Si l’une est la capitale officielle, l’autre se peut vanter d’être toujours la capitale naturelle ; si l’une a l’avantage de posséder le siège du gouvernement, la cour, les ministères, les grandes administrations, l’autre garde le bénéfice de sa situation centrale au cœur de l’empire avec le prestige de sa vieille histoire. Si Pétersbourg est la demeure respectée du pouvoir d’où dérive toute autorité et descendent tous les ordres, Moscou reste la ville nationale par excellence, la ville vers laquelle convergent tous les sentiments et toutes les affections du peuple, la cité sainte, la ville mère[1]. Et pour être délaissée, depuis plus d’un siècle et demi, pour être une sorte de Rome ou de Jérusalem slave, Moscou est loin de n’être qu’une reine détrônée, ou une veuve ensevelie dans son deuil et ses souvenirs. Ce n’est pas seulement la ville du passé, la ville des boyards et des vieux Russes ; Moscou a retrouvé dans le commerce, dans l’industrie, une richesse et une jeunesse, une puissance et une royauté nouvelles, qu’aucun pouvoir ne lui saurait retirer. Si le vaste système des canaux de l’empire aboutit à la Neva et fait de Pétersbourg la tête et le débouché du réseau fluvial, les longues lignes de fer qui unissent la Finlande au Caucase et la Pologne à l’Oural ont leur centre, leur nœud médian à Moscou, et en font l’entrepôt naturel, le grand emporium intérieur de la Russie.

Comme les deux têtes de l’aigle russe, les deux grandes cités rivales semblent regarder en sens opposé, l’une tournée vers l’Occident, vers le dehors, l’autre vers le dedans ou vers l’Orient. Avec ses monuments classiques et ses palais sur pilotis, avec ses canaux à la hollandaise et ses colonnades à l’italienne, avec ses larges perspectives qui se déploient en éventail, Saint-Pétersbourg, la ville au nom allemand, bâtie dans des marais finnois, est une

  1. Le Russe dit familièrement la petite mère Moscou, Matouchka Moskva.