Page:Anatole Leroy-Beaulieu - Empire des Tsars, tome 2, Hachette, 1893.djvu/244

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cité des Ivan, derrière les murs crénelés du Kremlin. C’est ce que H. Ivan Aksakof appelait « rentrer dans ses foyers ». Moscou, disent ses panégyristes, a toute espèce de supériorité sur Piter[1], ; elle est plus centrale, elle est plus saine, elle n’est exposée ni aux brouillards de la Baltique ni aux tardifs dégels du Ladoga ; elle n’est pas, comme la Palmyre du Nord, perdue aux confins d’un désert ; elle n’est point menacée d’être submergée sous les eaux de la Neva, refoulées par les vents de l’ouest et les flots du golfe. Moscou est, par tempérament comme par tradition, conservatrice autant que nationale, tandis que par son origine, par son histoire, par sa situation aux portes de l’Europe, Pétersbourg est révolutionnaire, comme elle est cosmopolite. La capitale pouvait demeurer aux bords de la Neva lorsque Moscou et la Russie étaient encore à demi asiatiques, lorsque, au lieu d’être relié à l’Europe par des chemins de fer, l’empire ne communiquait avec la civilisation occidentale que par la Baltique et les canaux du Volga. Aujourd’hui Pétersbourg a cessé d’être l’intermédiaire naturel entre la Russie et l’Europe, son rôle historique est achevé. L’heure est venue de clore « la période pétersbourgeoise », d’inaugurer, au cœur de l’empire, une nouvelle période moscovite, à la fois dégagée de la bureaucratie à l’allemande et libre de la contagion révolutionnaire.

Dans toutes les réflexions de ce genre il y a un mélange de vérité et d’illusion. La Russie, pour demeurer en communication avec l’Europe, n’a plus besoin de Pétersbourg ; on pourrait fermer et murer « la fenêtre » ouverte par Pierre le Grand, sans compromettre chez elle la civilisation européenne. Mais se figurer que, en éloignant de l’Occident la résidence impériale, on mettrait le trône à l’abri des entreprises révolutionnaires, n’est qu’une vaine imagination. De pareilles idées découlent de la propen-

  1. Abréviation familière du nom de Saint-Pétersbourg.